D’après Quentin Haroche « Journal international de médecine »
Refus de dons d’organes : soignants et patients se mobilisent2
« Paris – Des professionnels de santé et associations de patients ont émis 25 propositions pour renforcer l’activité de don d’organes et notamment à faire reculer le taux de refus de dons d’organes.
Le 13 février dernier, l’agence de la biomédecine (ABM) publiait des chiffres relativement décevants sur l’activité de greffes d’organes en France. Certes, le nombre de transplantations a augmenté de 2,5 % entre 2022 et 2023. Mais avec 5 634 greffes réalisées en 2023, l’activité reste inférieure de 4,5 % à ce qu’elle était en 2019 avant la pandémie de Covid-19.
Un chiffre particulièrement inquiétant émanait de ce rapport : 36 % des donneurs potentiels (soit essentiellement des sujets en mort encéphalique) n’ont pas pu être prélevés en raison de l’opposition des familles. Un taux d’opposition qui a augmenté de 9,4 points en 2023 et qui dépasse les 50 % en outre-mer et dans certaines grandes villes.
Un taux d’opposition qui atteint 70 % en Seine-Saint-Denis
C’est pour enrayer la hausse du taux de refus et plus globalement pour renforcer l’activité de greffes en France que plusieurs professionnels de santé, sociétés savantes (dont la société francophone de transplantation) et associations de patients » (Greffe plus, représenté par Eric Buleux) « se sont réunis ce lundi à Paris pour trouver des solutions. Le colloque s’est tenu sous l’égide de la ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq, qui a réitéré la volonté du gouvernement de faire du don d’organes une priorité nationale (une de plus !), conformément à la loi de bioéthique de 2004.
Les participants à la réunion se sont d’abord penchés sur les causes des refus de prélèvement d’organes. L’ABM a identifié plusieurs éléments qui favorisent le refus : l’âge du défunt (plus il est jeune, plus la famille s’opposera au prélèvement), la pratique d’un culte (alors même que les trois religions monothéistes autorisent, en théorie, le don d’organes), la mort par suicide, la durée d’hospitalisation avant le décès (plus elle est courte, plus la famille refusera le don) et la qualité de la prise en charge du défunt.
La pauvreté (et peut-être la culture) est également un facteur déterminant, comme le montre l’exemple de la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de métropole : 70 % des familles y refusent le prélèvement d’organes.
A l’issue de la réunion, les participants ont dressé une liste de 25 recommandations pour renforcer l’activité de greffe en France sous le nom de « Déclaration de Paris ». Ils recommandent notamment d’ « inscrire le don d’organes dans les stratégies de tous les établissements hospitaliers » et de renforcer les effectifs médicaux consacrés à cette activité, qui sont trois fois inférieur en France qu’en Espagne (pays généralement considéré comme le modèle à suivre en matière de dons d’organes). Les soignants et associations préconisent également de « généraliser la formation de tous les professionnels de santé confrontés à la fin de vie et spécialisés en soins critiques sur le don d’organes ».
Les médias appelés à la prudence
Sur la question précise de la hausse du taux de refus, la déclaration de Paris contient plusieurs recommandations : garantir que les entretiens avec la famille du défunt soient menés par des professionnels spécialement formés pour cela, renforcer le soutien aux associations promouvant le don d’organes, améliorer la reconnaissance des donneurs d’organes par la société, développer les recherches en sciences sociales sur le refus de don d’organes, favoriser la terminologie « don d’organes » à celle de « prélèvement d’organes » lors des entretiens avec les proches etc.
La déclaration de Paris appelle également les médias « à la prudence sur les questions de don d’organes et de greffe, avec une attention particulière pour vérifier les informations et en préciser le contexte ».
Une référence à peine voilée à la médiatisation récente d’un fait divers survenu en 2021 aux Etats-Unis, concernant un patient déclaré mort par erreur et qui aurait évité de peu un prélèvement de ses organes. Cette information a provoqué une hausse des inscriptions sur le registre des refus de prélèvements ces dernières semaines en France.
Enfin, les participants au colloque de ce lundi plaident plus globalement pour renforcer l’information sur le don d’organes auprès de la population et pour « développer des actions de communication adaptées à tous les publics ».
A cet égard, un sondage réalisé par l’ABM en février dernier indiquait en effet que certaines idées reçues sur le don d’organes avaient encore la vie dure : seulement un quart des Français savent que les organes prélevés sont réservés à des patients malades et ne peuvent être utilisés pour la recherche et la moitié pensent que le don d’organes est incompatible avec les rites funéraires religieux.
Rappelons que 22 000 personnes sont actuellement sur liste d’attente pour une greffe et que 823 patients sont morts en 2023 en attente d’une transplantation. »
Voici les 25 propositions
Affirmer ou réaffirmer les grands principes suivants :
- La loi de bioéthique fait du prélèvement et de la greffe des priorités nationales. Cette loi s’applique dans tous les hôpitaux.
- La réduction des durées d’attente, des pertes de chances en attente et la lutte contre les décès en attente constituent des urgences et des priorités médicales et éthiques.
Aider les coordinations de dons d’organes :
- Inscrire le don d’organes dans les stratégies de tous les établissements hospitaliers avec contrôle directe des gouvernances centrales.
- Confier aux hôpitaux des missions claires de valorisation, de soutien et de dynamisation des équipes de coordination de don d’organes.
- Renforcer les effectifs médicaux et paramédicaux de don d’organes (trois fois moins nombreuses en France qu’en Espagne)
- Renforcer l’attractivité et la reconnaissance des métiers de la coordination (IDE et médecins), ce qui implique un fonctionnement managérial clair et un soutien institutionnel fort des directions des hôpitaux, des commissions médicales et de soins infirmiers d’établissements. Faire du turn-over des personnels de coordination un indicateur de vigilance et un outil d’évaluation.
Renforcer l’implication des médecins et la formation :
- Faire du don d’organes une mission de tous les médecins de soins critiques (réanimateurs, anesthésistes réanimateurs et d’urgence). Assurer la formation systématique de tous les internes de soins critiques sur la fin de vie et le don d’organes.
- Préciser les missions des médecins coordinateurs de don d’organes et assurer leur reconnaissance par les établissements, de même que la nature des interactions entre les différents professionnels de santé dans le contexte du don d’organes.
- Généraliser la formation de tous les professionnels de santé confrontés à la fin de vie sur l’accompagnement des patients et des proches et sur le don d’organes.
- Généraliser la formation continue de tous les personnels de soins critiques sur le don d’organes.
Améliorer l’organisation et généraliser les bonnes pratiques :
- Faire du don d’organes une mission de toutes les réanimations, évaluée par la Haute Autorité de Santé dans la certification.
- Garantir que tous les entretiens avec les proches :
- sont réalisés conjointement avec un membre de la coordination de don d’organes
- donnent lieu à un débriefing et à une analyse à postériori de leur qualité, sous la responsabilité des coordinations de don d’organes.
La traçabilité de ces procédures est assurée par les coordinations de don d’organes.
- Généraliser les réseaux de coordination de don d’organes autour des hôpitaux préleveurs, en intégrant des établissements du secteur privé.
- Evaluer l’organisation des réseaux de coordination de dons d’organes sur la base d’indicateurs, notamment du réseau, son volume d’activité, la qualité des prélèvements.
- Valoriser les démarches anticipées, y compris au sein du réseau de proximité.
- Renforcer le soutien public aux associations menant des actions probantes en faveur du don d’organes et de la greffe.
Améliorer l’accompagnement et la reconnaissance des donneurs :
- Elaborer des recommandations sur l’accompagnement des patients en réanimation et de leurs proches, intégrant le don d’organes.
- Relancer la réflexion éthique sur :
- l’amélioration de la reconnaissance par la société des donneurs d’organes et de leurs proches, durant tout le parcours du don d’organes, dans et hors de l’hôpital ;
- la culture du don d’organes à l’hôpital ;
- l’intégration du don d’organes dans le continuum de soins ;
- les éventuelles tensions entre soin et don d’organes ;
- la notion d’accompagnement global, intégrant le droit au don d’organes.
- Développer la recherche, notamment en sciences humaines et sociales, afin de faire progresser les connaissances sur les facteurs de risques d’opposition au don d’organes et les leviers pour réduire l’opposition au don d’organes.
- Développer l’accompagnement anticipé des proches et la culture anticipée du don d’organes.
Communiquer avec responsabilité :
- Promouvoir le droit de tout citoyen à donner ses organes après son décès, plutôt que le droit de s’opposer au don.
- Appeler les médias à la prudence, sur les questions de don d’organes et de greffe, avec une attention particulière pour vérifier les informations et en préciser le contexte. Impliquer l’ARCOM dans l’établissement d’une charte de la communication responsable sur le don d’organes et la greffe. Développer des formations destinées aux journalistes au contact des acteurs du don d’organes.
- Favoriser la terminologie « don d’organes » sur celle de « prélèvement d’organes », notamment lors des entretiens avec les proches.
- Renforcer la sensibilisation, l’information et développer des actions de communication adaptées à tous les publics, y compris les plus défavorisés, avec les personnes concernées par la greffe et les familles de donneurs.
- Engager les Universités autour du don d’organes, dans la formation des jeunes soignants et du public
« Ces 25 propositions ont un objectif unique : faire reculer l’opposition au don d’organes, mieux accompagner les donneurs et leurs proches, et sauver plus de vies par la greffe.
Elles ont le grand mérite d’avoir été élaborées de façon très collective, par l’ensemble des acteurs : patients, donneurs, professionnels, institutionnels. Il s’agit maintenant de faire en sorte que chacun se les approprie et qu’elles soient rapidement mises en œuvre ! » (collectif humanis)